François Bayrou bien dans sa Pau

L’Express a consacré un article sur François Bayrou à la tête de la ville de Pau.

Le président du MoDem passait pour un littéraire éloigné des réalités. Depuis son élection dans la cité d’Henri IV, il dévoile un esprit pratique, plongé avec bonheur dans l’action concrète. Transposer ce succès à Paris? La tentation demeure.

C’est une scène que François Bayrou rêverait d’ériger en symbole. « J’ai croisé voilà quelques jours devant la mairie un couple que je ne connaissais pas, raconte-t-il à L’Express. L’homme et la femme m’ont abordé en me disant : « Ah, monsieur Bayrou! nous sommes contents de vous voir. Nous venons spécialement de Toulon car nous avons entendu dire que Pau bougeait de manière incroyable. » De Toulon! Vous vous rendez compte! Cela m’a fait vraiment plaisir. »

Des touristes traversant la France pour apprécier de visu les changements survenus dans la capitale du Béarn depuis l’élection du président du MoDem! On se pince pour le croire, mais, il faut reconnaître qu’il se passe quelque chose dans la cité d’Henri IV. Incontestablement, François Bayrou a réussi ses débuts de maire. Un mandat qui, il est vrai, représentait pour lui bien plus qu’une ligne supplémentaire sur son CV : une quête, presque un Graal. « Pour quelqu’un qui est né ici, pour quelqu’un qui est béarnais de toutes ses fibres, l’hôtel de ville de Pau est le magistère, la responsabilité la plus éminente du Béarn », avoue-t-il, sincèrement ému.
Le plus surprenant, pourtant, est ailleurs : François Bayrou semble avoir changé. Tout le monde en est frappé. « Il a passé un cap, admet son opposant socialiste Jean-François Maison. Il paraît mieux dans sa peau, libéré. » « Il est plus heureux et épanoui que jamais », confirme son directeur général des services, Nicolas Pernot, qui a travaillé à son côté dans les années 1990 et 2000 au ministère de l’Education nationale et au conseil général des Pyrénées-Atlantiques. « C’est un maire rayonnant, dans les deux sens du terme, résume le politologue Frédéric Dosquet, de l’ESC Pau. On le sent personnellement comblé et, en même temps, il fait briller sa ville, comme si cette élection municipale avait été une révélation. » On n’est pas à deux pas de Lourdes pour rien…

Une proximité et un engagement personnel irréprochables

Un signe ne trompe pas. A la surprise de la plupart des observateurs, François Bayrou est très présent sur place. Bien sûr, il ne refuse pas les invitations des médias nationaux, mais il s’y adonne avec une relative parcimonie. Lui que l’on avait connu distant, lui qui donnait souvent l’impression d’avoir la tête à Paris, lui qui survolait les dossiers palois avec une certaine légèreté donne clairement la priorité à ses nouvelles fonctions.

« Les gens pensaient que j’étais un politique intellectuel et abstrait. Ils s’aperçoivent que je suis un maire implanté, concret. Mon plaisir, c’est de faire marcher les choses ! » avance-t-il avec l’air gourmand d’un cancre remettant une excellente copie à son professeur. Et, de fait, on voit depuis dix mois cet admirateur de Péguy se plonger avec délectation dans les dossiers les plus prosaïques, du nettoyage des tags à l’aménagement des places de quartier en passant par la meilleure manière d’entretenir les espaces verts sans adjonction de produits phyto sanitaires…
A l’évidence, ses multiples défaites précédentes -1989, 2001, 2008- l’ont servi. Cette fois, il était prêt. Dès le premier jour, Bayrou s’est imposé comme le patron, l' »omnimaire », lou capdau, comme on dit en béarnais. « Il nous met une pression terrible », reconnaît son adjointe Véronique Lipsos-Sallenave (UDI). « Sa formule favorite est celle-ci : « Il faut faire aussi bien, sinon mieux qu’avant, mais avec moins », raille l’UMP Eric Saubatte, chargé des sports. « Il lui arrive de rabrouer publiquement un élu qui ne maîtrise pas correctement ses dossiers », note Patrice Sanchez, journaliste politique de Sud-Ouest. Alors, ici ou là, ça râle, bien sûr. « Il ne se rend pas toujours compte des contraintes », se plaignent certains adjoints sous le couvert de l’anonymat. Mais tout le monde suit.

A l’instar de son inénarrable prédécesseur André Labarrère, surnommé « toque manettes », François Bayrou fait aussi de la proximité sa règle d’or. Lui-même rencontre ses administrés chaque vendredi et le personnel municipal, une fois par mois. Dans le même temps, il a imposé à ses élus une permanence quotidienne à l’hôtel de ville. Les Palois voulaient un maire disponible ? Il l’est plus encore qu’ils ne l’espéraient ! « Contrairement à ce que beaucoup imaginaient, Bayrou est aux affaires et travaille ses dossiers, apprécie Pierre Saubot, président de l’association Béarn Adour Pyrénées, qui milite notamment pour l’aménagement routier de la région. Rien ne peut lui être reproché concernant sa présence physique et son engagement personnel. »

Des actions aux effets immédiats… et visibles

En élu expérimenté, Bayrou veille particulièrement à la bonne articulation entre le « temps long » et le « temps court ». Il le sait, l’avenir de Pau se jouera pour l’essentiel sur les grands chantiers : la rénovation des halles, qui sont l’âme de cette ville de gastronomie ; la modernisation du stade de rugby, véritable lieu de culte laïc dans le Sud-Ouest ; le projet de « bus à haut niveau de service », qui avait été le grand sujet de la campagne municipale. Mais pas question de se contenter d’attendre, au risque de donner une impression d’immobilisme ! Aussi le nouvel édile s’emploie-t-il à multiplier les actions aux effets immédiats : nettoyage des rues, circulation en centre-ville, installation de caméras de vidéosurveillance… De petites choses, en apparence, mais qui offrent le double avantage d’être rapides à mettre en oeuvre et hautement perceptibles par la population. La politique est un métier.

A rebours de l’équipe précédente, sujette aux tergiversations, il veille également à aller vite, très vite. Il tranche. Il décide. Il impulse. Exactement ce que les Palois attendaient. « En un mois, il a réorganisé les services de la mairie et de l’agglomération. En neuf mois, il a lancé ses projets les plus importants. Il semble avoir plutôt réussi ses débuts, même s’il est bien sûr trop tôt pour le juger sur le fond », analyse Eric Bély, journaliste politique du quotidien La République des Pyrénées. « Il fallait remanier les équipes de l’hôtel de ville. Il les a remaniées. Il fallait prendre des mesures d’urgence sur la circulation, les halles et le Grand Stade. Il les a prises. Pour l’instant, il se débrouille vraiment bien », reconnaît sportivement son adversaire des deux dernières municipales, l’ancien maire Yves Urieta (PS, puis divers droite, puis divers).
L’édile s’emploie aussi à changer l’image de la ville à l’extérieur. Grâce à son carnet d’adresses, il a réuni en novembre dernier un plateau exceptionnel à l’occasion des rencontres littéraires qu’il a lancées : « Les idées mènent le monde. » Michel Drucker, Luc Ferry, Frédéric Lenoir, Patrick Pelloux, Fred Vargas, entre autres, sont venus discourir du bonheur dans le superbe palais Beaumont, à l’extrémité du boulevard des Pyrénées.
Ebahis, les Palois ont afflué par milliers pour écouter les conférences de ces célébrités qui ne venaient jamais ici, ou rarement. Bayrou : « Les gens ont découvert que cette histoire que je leur racontais sur eux-mêmes était vraie : Pau a vocation à redevenir la capitale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. » Pour le combler d’aise, cette opération a coûté moins cher que l’ancien Salon du livre, au retentissement confidentiel, qu’elle a remplacé. La clef du mystère ? Tous les intervenants ont dû venir gratuitement. « Mon grand-père était maquignon », sourit Bayrou…

Un bilan globalement flatteur

Redonner son lustre à Pau et au Béarn : voilà, au fond, le grand combat de cet homme enraciné au plus profond d’une terre dont il sait la grandeur et l’histoire, et qu’il souffre de voir mésestimée, y compris sur son propre sol. « Je veux, dit-il, que cette ville et que cette région soient fières d’elles-mêmes. Fières au point que leurs habitants fassent envie à leurs voisins, à leurs cousins, à leurs amis ! » Et de rappeler que le Béarn « existait en tant qu’Etat unifié avant la France ». Et de citer Pau systématiquement lors de ses passages à la télévision. Et de mettre en valeur ses atouts méconnus : « Nous avons ici un ordinateur plus puissant que celui de la Nasa ! » [NDLR : celui du centre de recherches de Total].
Cela le fâche, évidemment, mais on trouve aussi quelques ratés dans le premier bilan de François Bayrou. Primo : en dépit de son souci affiché d’économie, la facture de la rénovation des fameuses halles sera plus élevée qu’annoncé. Secundo : lui qui n’avait pas de mots assez durs pour vitupérer le « bus à haut niveau de service » voulu par ses prédécesseurs a fini par présenter un projet qui lui ressemble furieusement. Tertio : il a dû revoir légèrement à la baisse son engagement de diminuer les impôts « de 1% par an pendant cinq ans. »

Mais tout cela ne suffit pas à noircir sérieusement un bilan globalement très flatteur. D’autant que la chance semble être avec le nouveau maire. En toute logique, son ami Jean-Jacques Lasserre (MoDem) devrait récupérer en mars prochain le conseil général des Pyrénées-Atlantiques -ce qui en fera un utile relais financier. Quant aux rugbymans de la Section paloise, qui se traînent en Pro D2 depuis 2006, ils ont de sérieuses chances de rejoindre enfin l’élite du Top 14 à la fin de la saison. De quoi réveiller l’orgueil local et, surtout, symboliser le renouveau de la ville que Bayrou appelle de ses voeux.

Et après? C’est l’inconnu. L’homme, on ne se refait pas, n’a pas renoncé à l’Elysée. Mieux, il est persuadé que sa réussite paloise prouve sa capacité à redresser le pays. « La démarche qui est la mienne ici est transposable ailleurs », affirme-t-il avec son immodestie coutumière. Un discours qui, paradoxalement, inquiète localement. « Son élection à la présidence de la République serait une très mauvaise nouvelle pour Pau », s’alarme sa première adjointe, Josy Poueyto (ex-PS). Elle n’est pas la seule à penser ainsi… Cinq siècles après Henri IV, bien des Palois se passeraient volontiers de voir le nouveau souverain du pays de Béarn devenir à son tour roi de France.

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