« Le dossier PNR est bloqué au Parlement européen ». Rarement phrase aussi courte, répétée à l’envi, aura mieux révélé le malentendu qui se creuse entre le débat politique français et les réalités européennes. L’apparente simplicité de l’accusation masque cinq failles qui tiennent à la complexité du sujet.
Manque de rigueur
Certains ministres et journalistes présentent les procédures européennes de manière biaisée. Le « PNR » – passenger name record – ou données de dossier des passagers – qui permet de retracer les déplacements aériens des individus, n’est pas un sujet sur lequel le Parlement décide seul. Les décisions sont prises par les députés et les ministres nationaux sur la base de propositions rédigées par la Commission européenne. Si atermoiement il y a, il n’est pas dû à un seul organe. Depuis plusieurs mois, les discussions sont en cours. Elles viennent même d’aboutir à un compromis provisoire qui, s’il est validé par les deux parties, sera soumis aux ministres et aux députés. La plupart des députés européens, dont je suis, ne sont pas hostiles au principe du PNR. Ils veulent l’entourer de garanties et le rendre plus efficace, en favorisant l’échange des données.
Manque de respect pour la démocratie et l’état de droit
« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », écrivait Montesquieu. En inventant la séparation des pouvoirs, il a prévu que le législatif fasse contrepoids à l’exécutif. Aussi est-il fascinant qu’en 2015, on puisse en gros laisser entendre que l’examen, par des élus, d’un texte pouvant porter atteinte aux libertés publiques, constitue une perte de temps. Les députés ont simplement demandé des améliorations de la version initiale. Ayant eu la responsabilité, au Parlement européen, de textes relatifs aux assurances et aux banques françaises, je peux témoigner que les autorités nationales apprécient parfois que les députés européens fassent un travail approfondi.
Dans tous les textes définissant les pouvoirs de police, un équilibre délicat doit être trouvé entre les impératifs de la sécurité et la préservation des libertés individuelles. C’est le juge qui normalement, dans un Etat de droit, encadre l’activité des forces de l’ordre. Et la collecte de données personnelles fait l’objet, en Europe et dans tous les Etats membres, de garanties spécifiques. La France est prompte à revendiquer l’héritage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce texte magnifique mérite d’être honoré en actes autant qu’en paroles. Texte sur le renseignement, prolongation de l’état d’urgence, PNR sans parquet européen, jusqu’où faut-il aller au nom de la lutte anti-terroriste ? C’est une question grave, à aborder sans polémique. Les Français, sous le coup de l’émotion, donnent la priorité à l’impératif de sécurité, c’est naturel. Le travail avec des partenaires nous aide à prendre un recul utile.
Manque d’efficacité
Le PNR est incontestablement utile pour suivre les déplacements des djihadistes entre l’Europe et leurs terrains d’entraînement au Moyen Orient mais, en refusant l’échange obligatoire d’informations et le recours à un règlement – demandés par les députés européens – les ministres ne font pas tout ce qui est possible pour en maximiser les effets. L’instrument juridique privilégié par le Conseil (une directive) suppose une transposition en droit national. Ce choix va retarder l’entrée en vigueur du PNR. Et surtout, faute d’échange obligatoire des données recueillies, il suffira par exemple qu’un djihadiste français rentre de Syrie en passant par un autre Etat membre pour que le cas échéant, l’information ne parvienne pas automatiquement à la police française. Or ces détours destinés à tromper la vigilance des forces de l’ordre sont fréquents. Les contrôles généralisés aux frontières nationales mis en place actuellement, si tant est qu’ils soient efficaces, ne peuvent pallier le manque de coopération accrue des polices des Etats européens, sur des individus ciblés.
Manque de clairvoyance et d’anticipation
Le PNR, c’est l’arbre qui cache la forêt. Qu’ont fait les Etats ces dernières années pour rendre l’espace Schengen plus sûr, pour jeter les bases d’un cadre européen qui, à la fois, garantisse la sécurité des individus et respecte les valeurs partagées ? Dès 2001, Romano Prodi proposait de créer un corps européen de garde-côtes. Cette idée est restée lettre morte. Depuis 2005, Robert Badinter propose de créer un Parquet européen, sans être suivi. Enfin, les Etats n’ont pas veillé, lors de la dernière négociation budgétaire pluriannuelle, en 2013, à doter l’UE d’un budget adapté aux menaces. Les dépenses, réduites à moins d’1% de la richesse de l’Union, reflètent les priorités du siècle dernier (agriculture, fonds structurels). Ne parlons même pas de la défense européenne, restée au point mort.
Manque de vision d’ensemble
Emmanuel Macron propose, avec son homologue allemand Siegmar Gabriel, une réponse européenne (création d’un fonds dédié à la lutte anti-terroriste et à l’accueil des réfugiés) ; il dénonce, à raison, le terreau favorable que représente la frustration d’une partie de notre jeunesse. Aucune excuse d’aucune sorte ne saurait être trouvée à la violence aveugle mais, pour avoir parlé récemment à des jeunes d’origine étrangère des quartiers défavorisés de Bruxelles, je partage le sentiment exprimé par le ministre de l’économie que des efforts accrus de non discrimination et de lutte contre le chômage doivent impérativement être faits. Pour être stable, une société doit ouvrir des perspectives à tous, de manière juste. Les réponses policière et militaire sont nécessaires mais non pas suffisantes. Et sans une mise en œuvre concrète des droits économiques et sociaux, les discours ronflants sur l’unité de la nation tournent à vide. |