Les faits – Les 27 commissaires désignés sont auditionnés à tour de rôle depuis hier par les députés européens. Jeudi, ce sera au tour de Pierre Moscovici. Selon Sylvie Goulard, coordinatrice du groupe libéral (ADLE) au sein de la commission des Affaires économiques et monétaires, les députés veulent en savoir plus sur les engagements non tenus de la France en matière de déficit budgétaire et de réformes, et sur la répartition des rôles avec le vice-président à l’euro, Valdis Dombrovskis.
Pierre Moscovici doit-il avoir peur de son audition par le Parlement européen ?
Ces auditions permettent d’examiner le parcours personnel, professionnel et politique des candidats, de repérer d’éventuels conflits d’intérêt, de vérifier l’aptitude à exercer le portefeuille. Ce qui va être au centre des débats pour Pierre Moscovici, c’est ce qu’il a fait comme ministre des Finances pendant deux ans. Il siégeait au Conseil en juillet 2013 quand la Commission européenne a donné deux années supplémentaires à la France pour ramener son déficit à 3%. En échange, le gouvernement devait faire un certain nombre de réformes dans des domaines précisément définis : la fiscalité, le marché du travail, les professions réglementées, la réorganisation des collectivités locales, etc. Or, tous les engagements n’ont pas été tenus. C’est cela qui va être au cœur de l’audition. Je ne suis pas sûre que la France se soit facilité la tâche avec ce portefeuille.
Avoir été le ministre français des Finances serait donc un obstacle ?
La Commission joue un rôle encore plus central qu’avant dans le contrôle macroéconomique de la zone euro. Ses pouvoirs en matière de discipline budgétaire, de dette et de déséquilibres macro-économiques ont été renforcés et étendus. Le rôle du commissaire aux Affaires économiques consiste précisément à demander aux pays de faire des efforts que la France n’a pas suffisamment faits. C’est là que réside la responsabilité de l’intéressé. Ce n’est pas une querelle de personnes, mais une question de crédibilité collective de la zone euro. Il faut que les hommes politiques assument leur bilan national avant de prendre des responsabilités européennes. Les problèmes de réformes structurelles, de déficit et de dettes étaient antérieurs au gouvernement de Jean-Marc Ayrault, mais la situation commence à devenir extrêmement grave. De plus, Pierre Moscovici vient de voter la confiance à Manuel Valls. C’est son choix. Mais pouvez-vous être celui qui donne sa confiance en septembre et qui sanctionne la politique du gouvernement en novembre ?
Quel sera selon vous le résultat de l’audition ?
Pierre Moscovici devra recueillir une majorité d’une trentaine de voix, y inclus de familles politiques qui ne sont pas la sienne. Les coordinateurs des groupes se réuniront à la fin de chaque audition. Si, et je pense que ce sera le cas pour Pierre Moscovici, il n’y a pas de consensus, ou si un groupe politique le demande, il y aura un vote, à bulletins secrets, de toute la commission. Si c’est oui, le candidat sortira conforté. Si c’est non, le président de la Commission devra lui confier un autre portefeuille, ou demander son retrait. Tout peut arriver dans ce genre de situation. Il y a aussi une grande inconnue, c’est ce que vont faire les deux grands groupes politiques. Si, au lieu d’analyser ce que valent les personnes, ils passent des accords politiques et décident de protéger réciproquement leurs candidats, ils prendront un risque considérable aux yeux des citoyens. Une chose est d’avoir un bilan plus ou moins bon en matière économique, une autre est, comme le candidat hongrois du Fidesz, de poser un problème en terme de valeurs et de libertés fondamentales. Si après coup, il apparaît qu’il y a vraiment eu un deal, je ne soutiendrai pas la Commission Juncker lors du vote d’investiture.
Qui sera « M. Euro »: Pierre Moscovici ou Valdis Dombrovskis ?
Nous avons réclamé des clarifications sur la répartition des rôles entre les commissaires et leurs vice-présidents. Mais la réponse de Jean-Claude Juncker laisse planer plusieurs ambiguïtés. Premièrement, l’application des règles de gouvernance économique sera mise en œuvre « conjointement » par Dombrovskis et Moscovici. Deuxièmement, l’inscription des questions à l’agenda de la Commission passera obligatoirement par les vice-présidents, donc un commissaire ordinaire n’aura pas la maîtrise de l’ordre du jour. Troisièmement, et c’est ce qui m’inquiète le plus, il est question « d’arrangements pratiques » ultérieurs pour la représentation extérieure. Si ce n’est pas clair, les interlocuteurs appelleront plutôt Mario Draghi ou Angela Merkel. Plus on complique l’organigramme européen, plus on s’affaiblit vis-à-vis de l’extérieur. Jean-Claude Juncker propose d’unifier la représentation extérieure de la zone euro, mais on ne sait pas qui s’occupera de l’euro dans son collège.