L’appartenance à l’Union européenne comme l’entrée dans la zone euro sont des engagements volontaires, librement consentis. Dans chaque État, le peuple ou, selon les règles constitutionnelles internes, le parlement national représentant le peuple, a autorisé la ratification de tous les traités qui ont marqué une avancée européenne. Les pays qui n’ont pas voulu faire partie de l’Union, comme la Norvège ou la Suisse, ou de la zone euro, comme le Royaume-Uni et le Danemark, sont restés en dehors.
En rejoignant la zone euro, un pays accepte de partager sa souveraineté. Le jeu devient collectif, à dix-neuf. L’absence d’un gouvernement commun et d’un budget fédéral oblige les gouvernements à se coordonner étroitement. Cette interaction est encore plus nécessaire dans les situations de crise.
Quand une élection nationale conduit à une alternance, comme en Grèce récemment, la volonté des électeurs de ce pays doit être prise en compte. Mais les dix-huit autres gouvernements, légitimement élus dans les autres États membres, ont toujours leur mot à dire. Le respect de la démocratie est à ce prix. M. Tsipras peut légitimement faire entendre sa voix, il n’est pour autant ni soliste ni chef d’orchestre.
Les conséquences de l’entrée dans la zone euro ont été systématiquement minimisées et continuent de l’être. L’interdépendance politique est infiniment supérieure à ce que les hommes politiques nationaux, y compris ceux qui sont censés être pro-européens, veulent bien admettre. Si les peuples ont le sentiment que le pouvoir leur échappe, c’est essentiellement à cause de ce déni.
Il est toujours facile de gagner une campagne électorale en faisant des promesses de jours meilleurs, sans tenir compte des contraintes. Montesquieu disait toutefois que le principe fondateur de la démocratie est «la vertu». La dépendance est plus grande encore pour les dirigeants d’un pays soumis à un programme d’assistance financière. Dans cette situation, il est particulièrement démagogique de gommer l’existence de partenaires qui ont donné leur garantie en contrepartie d’engagements précis.
Alexis Tsipras pouvait faire valoir des arguments de poids, et tout particulièrement la montée des inégalités. Il pouvait bâtir une dynamique positive afin de recueillir des soutiens. Le premier ministre ou M. Varoufakis auraient pu notamment venir devant le Parlement européen qui, durant la mandature précédente, a appelé à des politiques plus équilibrées et enquêté de manière approfondie sur la troïka. Le gouvernement grec a privilégié la confrontation et flatté le nationalisme le plus débridé, allant jusqu’à s’allier avec un parti de droite antisémite et xénophobe. Qu’espère Syriza en publiant des caricatures si insultantes pour le ministre allemand M. Schäuble que M. Tsipras a dû les désavouer?
Ce n’est pas l’Europe qui bride la souveraineté des peuples et démolit la démocratie. C’est la naïveté ou le cynisme avec lesquels les hommes politiques nationaux bornent leur horizon au cadre national, en faisant comme si l’Europe n’existait pas. C’est hélas le cas dans bien des États membres. Une chose est impossible: être unis sans la contrainte de l’être. La seule manière d’échapper à ce dilemme sera de faire enfin de la zone euro une communauté politique dotée d’un pouvoir exécutif élu, rendant des comptes, menant des politiques financées par un budget commun (voir notamment http://www.groupe-eiffel.eu/pour-une-communaute-politique-de-leuro/). Il y a urgence : en attisant les rivalités, les bricolages actuels détruisent la solidarité. L’Europe mérite mieux.