Interview de Sylvie Goulard dans le Point

 

Le Point : Le débat sur la déchéance de nationalité soulève, en vérité, un enjeu plus large : qu’est-ce qu’un Français ? La boîte de Pandore ouverte par Sarkozy est rouverte par Hollande. Voulez-vous vous essayer à une réponse : qu’est-ce qu’un Français ?

Sylvie Goulard : C’est délicat. Il y a une réponse juridique : est français celui qui, en vertu de la loi, obtient la nationalité française, que ce soit par sa naissance ou au cours de sa vie. La loi permet déjà, par exemple, dans certaines conditions de retirer la nationalité française à une personne naturalisée. La loi pourrait donc décider d’aller plus loin, comme le propose le chef de l’État. Mais des études sociologiques, celle de Gilles Kepel, par exemple, Passion française (Gallimard 2014), montrent toutefois que de nombreux jeunes français issus de familles d’origine étrangère se sentent discriminés. L’action publique devrait, dans l’intérêt de la nation tout entière, viser plus encore l’inclusion sociale, par l’éducation, l’emploi, la formation. Il faudrait être plus concret, par exemple pour enseigner l’égalité hommes-femmes ou la langue française, au lieu de se complaire dans des débats abstraits.

Certains réclament l’abandon de la binationalité, ce qui réglerait le problème de la déchéance. Comprenez-vous cette demande ?

Cette demande est consternante. D’une part, il y a des personnes nées de parents de nationalités différentes ; cela reviendrait à leur demander de nier une partie d’eux-mêmes. D’autre part, elle révèle une recherche de purification du corps national, en quelque sorte, qui est effrayante. Tous les binationaux, quoi qu’ils fassent, seraient donc une menace ? Il n’y aurait donc aucune vertu dans le brassage, dans le multilinguisme ? Enfin, c’est une simplification. Sont partis pour le djihad des centaines de jeunes Français convertis issus de familles françaises « de souche ». Attaquons-nous aux vrais problèmes au lieu de blesser des personnes qui n’ont rien à se reprocher.

Dans votre circonscription, comment les Français d’origine maghrébine ou africaine vivent-ils ce débat sur la déchéance ?

Je ne peux pas me prononcer pour eux et, sincèrement, le meilleur service à rendre à la France, c’est de cesser de les considérer comme une catégorie à part. Étant moi-même d’une famille d’origine étrangère, je suis très mal à l’aise. Mes quatre grands-parents ayant été naturalisés, viendra-t-on un jour me le reprocher ? Jusqu’où certains voudraient-ils remonter ? Mieux vaut rappeler que de nombreux Français d’origine étrangère ont contribué à faire de la France ce qu’elle est. Par exemple, le père de Gustave Eiffel était allemand, il s’appelait Bönickhausen. Celui de Robert Badinter était russe. Va-t-on considérer que tous les Français d’origine étrangère qui ont fait quelque chose de bien sont « vraiment » français tandis que « les mauvais sujets » restent étrangers ? Et peut-on imaginer que les pays d’origine de leurs familles vont accueillir à bras ouverts des criminels nés en France, ayant grandi ici, parce qu’ils auront été déchus de la nationalité française ?

Une partie de la droite insiste beaucoup sur les « racines chrétiennes » de la France. Cette approche de l’identité française permet-elle l’assimilation de populations qui n’ont pas de telles racines ?

Certains invoquent tour à tour la laïcité ou la chrétienté, selon ce qui les arrange ce jour-là. La France est un pays de tradition chrétienne, c’est exact. Mais la République française est laïque et on voit mal, en effet, en quoi marteler une référence abstraite à des « racines » aiderait des populations d’une autre confession, ou athées, à se sentir plus françaises. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
En outre, ceux qui se réclament le plus des « racines chrétiennes », ne sont pas forcément ceux qui pratiquent le plus ardemment les préceptes évangéliques. Rappelons que le cœur de la foi chrétienne, c’est l’amour du prochain, sans considération de race et de religion, y compris l’accueil de l’étranger, c’est le partage avec les pauvres. Jésus avait plus de considération pour ceux qui faisaient le bien, comme le Bon Samaritain, un étranger, que pour les beaux parleurs pharisiens.

La IIIe République, confrontée aux attentats anarchistes à ses débuts, en avait fait de simples « malfaiteurs », leur infligeant des peines pénales de droit commun. Était-ce la bonne réponse de ne pas reconnaître le caractère politique de leur combat ?

C’était peut-être sage. Des criminels qui abattent férocement des êtres humains désarmés, qui ne leur avaient rien fait, sont avant tout des assassins. Aucun dieu, aucune cause politique ne peuvent justifier ces massacres.

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