Dans un entretien publié lundi 28 novembre, François Bayrou dévoile à Acteurs publics son plan pour assainir les finances publiques et réformer l’État. « Ce n’est pas en menant la guerre contre la fonction publique que l’on redressera le pays », prévient-il.
Dans le contexte actuel de lutte contre les déficits, faut-il accélérer la modernisation de l’État ?
La modernisation de l’État est une nécessité permanente, plus encore dans la situation économique et financière du pays. Quels que soient les gouvernants à partir de mai 2012, la France devra conduire un effort prolongé de réforme de l’État. Mais il est impossible de continuer de demander à l’État toujours plus avec toujours moins de moyens. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie sur l’équilibre entre les missions et les moyens de la puissance publique.
Quel regard portez-vous sur la Révision générale des politiques publiques (RGPP), menée depuis 2007 ?
Ce qui me frappe, c’est le haut degré d’incompréhension à l’égard de la RGPP. La cause en est l’absence de débat et de pédagogie. À aucun moment, le gouvernement, les responsables du pays, n’ont clairement défini les missions des politiques publiques et les structures pour les conduire. Pour beaucoup d’acteurs, la RGPP n’a qu’une visée budgétaire et apparaît donc seulement comme punitive. On coupe tous azimuts, mais sans jamais définir précisément les buts fixés aux forces de sécurité, à l’éducation, à la justice, par exemple… Il n’est pourtant de gestion moderne que par objectifs et évaluation.
Faut-il organiser un grand débat sur les périmètres et les missions de l’État ?
Un débat, oui, mais pas seulement. Il faut décider et définir dans une loi-cadre le profil qui sera celui de la puissance publique dans les décennies à venir. Au fond, l’action de l’État et des collectivités est le résultat d’une sédimentation continue au fil du temps. J’ai présidé le conseil général des Pyrénées-Atlantiques durant dix ans, je sais qu’il y a une part de reconduction tacite, pour ne pas dire de routine, dans l’action publique. Aujourd’hui, le paysage est, pour le citoyen, indéchiffrable : il est pris dans un incroyable labyrinthe et n’a plus idée ni du pourquoi ni du qui ni du comment. L’administration mise en œuvre par Napoléon est critiquable à bien des égards, mais elle avait l’immense mérite d’être simple et compréhensible par le plus grand nombre. Avons-nous renoncé à cet objectif ? J’espère vivement que non.
Faut-il une nouvelle étape dans la décentralisation, comme le réclame une partie de la gauche ?
J’entends très bien ce qui se dit au PS. Leurs élus locaux, si nombreux et si puissants, exigent et ont obtenu la promesse d’une nouvelle loi de décentralisation. Or nous avons déjà accumulé beaucoup de lois en ce domaine, sans améliorer nécessairement la performance de l’ensemble. Les lois de 2004 et de 2010 ont-elles marqué un progrès significatif ? J’en doute. Nous avons un incontestable besoin de clarification, à partir de la vocation respective des collectivités, c’est-à-dire de ce qu’elles font le mieux. Je suggère qu’un bilan objectif soit effectué avant d’engager un nouvel acte (III, IV ou V) de la décentralisation. Par ailleurs, à l’expérience, je crains toujours qu’une nouvelle loi soit source, en réalité, de complication et de dépenses de fonctionnement supplémentaires. Ainsi, j’observe que les effectifs ont augmenté de 18 pour cent ces dernières années. Par ailleurs, il est indispensable que les collectivités locales concourent au redressement financier du pays. À cet égard, la stabilité du pacte financier État-collectivités locales me paraît indispensable aujourd’hui pour programmer les investissements à venir. Quant à la réforme de la fiscalité locale, il faudra aussi s’y atteler un jour…
La simplification passe-t-elle par une réduction du nombre de ministères ?
Je suis persuadé que le nombre de ministères est trop important. On peut imaginer une équipe gouvernementale restreinte à une quinzaine de grands ministères, épaulés par des chargés de mission temporaires. On ferait ainsi naître une nouvelle génération de responsables. Les ministres de plein exercice verraient leur autorité et leur capacité d’arbitrage renforcées. Aujourd’hui, les Français ne connaissent pas le nom de la moitié des ministres, ni le quart des visages du gouvernement ! C’est malsain.
Êtes-vous favorable à la création de 60 000 postes d’enseignants, comme le promet François Hollande ?
Cela ne se fera pas, je l’affirme et l’atteste ! D’abord pour des raisons budgétaires, car quand vous embauchez un fonctionnaire, c’est pour toute sa vie, activité et retraite, donc pour cinquante ou soixante ans. La seconde raison tient à l’attractivité, hélas dégradée, de l’enseignement. L’an dernier, sur 8 000 postes mis au concours dans le secondaire, 1 000 n’ont pu être attribués faute de candidats au niveau. Maintenir les effectifs et recruter 16 000 enseignants de qualité pour remplacer les départs, ce serait déjà bien. C’est ce à quoi je me suis engagé.
Comment expliquez-vous la faible attractivité du métier d’enseignant ?
Les étudiants connaissent bien, et pour cause, la difficulté de ce métier. Le statut des enseignants dans la société s’est tellement dégradé sous les coups de boutoir de ceux qui devraient les défendre… Je note que c’est le seul département dont le ministre se croit autorisé à attaquer les fonctionnaires dont il a la charge. Il faut être capable de résister à cette démagogie. Cela n’empêche pas, bien au contraire, d’être exigeant vis-à-vis de l’éducation nationale. Sur 35 pays développés, la France est 23e pour la compréhension de l’écrit ! 24e en calcul ! Et 34e en termes d’inégalités. Nous qui avons eu l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, avons aujourd’hui l’un des plus sensibles aux inégalités de conditions économiques et culturelles des familles. C’est inacceptable. Mais on s’est à tort polarisé sur la question des moyens. Celles de la formation, de la considération des enseignants, des rythmes scolaires doivent être simultanément traitées. Les enseignants sont investis d’une mission, le lien nation-famille-école doit être refondé.
Faut-il revoir le mode de nomination des hauts fonctionnaires ? Le fait que l’aval du Parlement soit désormais nécessaire pour un certain nombre d’entre elles est-il suffisant ?
Ce n’est pas l’aval du Parlement qui est demandé, c’est bien plus compliqué et modeste : une majorité des deux tiers peut s’opposer à la nomination envisagée. Ce blocage est illusoire, car il exigerait que majorité et opposition votent ensemble contre une proposition. Or la majorité du moment suit le pouvoir en place comme un seul homme… Je continue de trouver choquant que l’on “recase” dans de grandes fonctions des gens qui ont été discrédités dans leur mission précédente. L’époque dans laquelle nous entrons exigera des principes nouveaux, plus transparents et plus sains.
Que pensez-vous du gel des salaires des ministres et croyez-vous au poids des symboles et de l’exemple donné en temps de crise ?
Je crois à l’exemplarité. Elle est nécessaire. Mais présenter le gel des traitements des ministres comme un sacrifice, c’est raconter des histoires. Au moment où beaucoup de nos concitoyens sont en difficulté, seule une diminution significative aurait eu un sens.
Êtes-vous favorable à une réforme ou à une suppression de l’École nationale d’administration (ENA) ?
Il faut changer la philosophie de l’ENA. Ce ne devrait pas être une école de sélection précoce aux plus hautes carrières, mais une école de perfectionnement, une école de la maturité. On devrait donc y accéder par des voies très différentes. Les fonctions auxquelles on accède à l’issue de l’ENA requièrent l’expérience de la vie. C’est aussi mon avis concernant, par exemple, les magistrats.
Êtes-vous pour un renforcement des règles de déontologie pour encadrer le pantouflage et prévenir les conflits d’intérêts ?
Le principe d’une déclaration d’intérêts préalable, assortie d’une vérification, permettrait de régler ces questions. Dans la plupart des cas, il n’y a pas besoin d’aller plus loin. Le développement du pantouflage traduit aussi la perte de crédit du service de l’État au bénéfice du privé. L’hémorragie continue des cadres les plus éminents de la fonction publique est un problème lourd. Je ne me résous pas à l’idée qu’un être humain se détermine en fonction de l’argent et des gains. On peut s’accomplir dans la vie et être utile aux autres bien autrement.
Faut-il réformer le statut de la fonction publique ?
Est-ce que le statut nous empêche d’avancer ? Non. Au lieu de faire du punitif, remobilisons plutôt le pays pour qu’il se remette à instruire et produire. Ce n’est pas en menant la guerre contre la fonction publique que l’on redressera le pays.
Quel est votre plan pour réduire les déficits publics ?
Augmenter les recettes de 50 milliards d’euros et réduire les dépenses de 50 milliards.
Où trouvez-vous 50 milliards d’euros de recettes ?
Il faudra d’abord réévaluer l’impôt sur le revenu en relevant la dernière tranche de 41 à 45 pour cent et en en créant une autre à 50 pour cent. Cette décision, plus des règles nouvelles sur les successions importantes, permettrait de faire rentrer 4 à 5 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de l’État. Il faudrait également relever le taux normal de la TVA de deux points, ce qui rapporterait de 15 à 20 milliards. On l’a vu avec l’Allemagne qui avait relevé son taux de trois points : c’est relativement indolore, car la hausse n’est pas entièrement répercutée en bout de chaîne. Le commerçant, l’intermédiaire, fixe aussi son prix en fonction de la capacité d’achat. Troisième levier : les niches fiscales, où sur 75 milliards, nous pouvons récupérer au moins 20 milliards d’avantages aussi injustes qu’inefficaces.
Et les 50 milliards sur les dépenses ?
Schématiquement, l’État doit faire un effort de 20 milliards, la Sécurité sociale une économie du même ordre. Les collectivités doivent s’engager pour 10 milliards, à travers un accord négocié entre les élus locaux et l’État. Je signale que les dépenses globales de la Sécurité sociale représentent 600 milliards. 20 milliards, ce ne sont donc que 3 pour cent. Ces efforts sont compatibles avec le maintien de prestations de qualité.
Dans le contexte actuel, comment parvenez-vous mettre d’accord l’État et les collectivités locales ?
Je vous le dis avec certitude, personne n’échappera à cette régulation. Nous avons besoin de pouvoir continuer à emprunter dans des conditions supportables et nous devons donc réduire notre déficit pour le ramener progressivement à zéro. Les élus sont responsables et savent que la France ne pourra se redresser qu’à ce prix.
Pensez-vous qu’un autre plan de rigueur sera nécessaire dans les prochaines semaines ?
Le gouvernement avance rustine après rustine, alors qu’il faudrait faire un plan global. Ce n’est pas mobilisateur et l’opinion a l’impression que l’on prélève chaque jour pour colmater… Dans notre situation, ce qui est requis tient en trois points : viser le retour à l’équilibre, relancer la capacité de production de notre pays et avoir l’adhésion de l’opinion pour conduire cette politique. S’agissant de cette dernière condition, il faudra plus de justice dans la répartition des efforts et une classe politique qui respecte les citoyens. Ce qui implique des changements importants dans notre vie publique, notamment une chasse aux conflits d’intérêts et au cumul des mandats.
Êtes-vous favorable à la TVA dite sociale ?
J’ai beaucoup d’amis qui défendent la TVA sociale, Jean Arthuis par exemple. Je suis ouvert au débat, mais pas vraiment convaincu pour l’instant. Ses défenseurs disent que l’on fera payer les importations, or, en bout de course, ce n’est pas l’importateur, mais bien le consommateur qui paye la TVA. Et l’allègement significatif des charges sur le travail représenterait entre cinq et dix points d’augmentation de la TVA. Qui en convaincra l’opinion ?