François Bayrou a présenté son « Agenda 2012-2020 », qui traduit sa méthode et sa démarche de gouvernance, mercredi 30 novembre lors d’une conférence de presse.
Mesdames, Messieurs,
J’ai souhaité vous exposer la méthode que nous allons suivre, non pas pour établir un projet pour la France, mais pour confronter ce projet dans lequel nous sommes engagés depuis longtemps, en particulier depuis la publication de 2012 état d’urgence, avec l’expérience et les convictions des Français.
Nous avons adopté pour ce travail le titre « Agenda 2012-2020 ». Ce titre est une référence au travail qui a été initié par Gerhard Schröder, le chancelier social-démocrate, sous le titre « Agenda 2010 ».
Présenté en 2003, dans une période où l’Allemagne apparaît comme en situation de particulière faiblesse, où tous les observateurs notent qu’elle est derrière la France sur tous les sujets de comparaison économique, « tous les clignotants sont au rouge », le plan du gouvernement allemand a eu deux conséquences politiques : accessoirement, il a fait exploser la gauche allemande, avec la création de Die Linke, et principalement il a donné à son pays l’élan économique le plus remarquable d’Europe. Il suffit de rappeler que l’Allemagne partant du même niveau que le nôtre en 2004, il y a sept ans, réalise aujourd’hui près de 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux, alors que nos résultats se sont effondrés jusqu’à atteindre le rythme de 75 milliards de déficits.
Il ne s’agit nullement pour nous d’imiter l’Allemagne. Chaque pays a son modèle de société, ses valeurs nationales, des atouts différents. Par exemple, au bénéfice de la France, une démographie dynamique qui contraste fortement avec la crise démographique qui entraînera en Allemagne sans doute un vieillissement préoccupant. Et cette démographie elle-même est à mettre en relation avec la politique familiale de notre pays. Chacun doit cultiver ses atouts et corriger ses erreurs, et ce ne sont pas les mêmes. Encore faut-il entreprendre l’un et l’autre. C’est de n’avoir pas identifié nos manques et nos faiblesses, et donc de n’avoir rien entrepris de sérieux pour les corriger que nous souffrons le plus aujourd’hui.
Il s’agit bien ici de la France et non de l’imitation aveugle de la démarche de nos partenaires allemands. Mais il s’agit d’agir, de décider, de gouverner.
C’est pourquoi cette rencontre est placée sous le patronage d’une maxime française : « gouverner, c’est prévoir ».
Ce qui frappe quand on regarde les années qui viennent de s’écouler, et la profondeur de la crise, c’est qu’on n’a rien prévu, donc rien préparé, ni en France, ni en Europe. À long terme ou à moyen terme, les réactions de l’immédiat se sont succédé, souvent contradictoires, irréfléchies, obligeant chaque jour à corriger ou à effacer ce qu’on avait fait la veille. Réactivité, oui, oh combien, instantanée, assénant des certitudes oubliées le lendemain, pas de vision de l’avenir et pas de suite dans les idées. Comme si l’action politique n’était qu’une succession de décisions obsolètes sans rapport avec la précédente et d’ailleurs non plus avec la suivante.
Nous voulons réhabiliter le « gouverner c’est prévoir » et en faire une règle d’action.
Or tout était prévisible. La crise de la dette de la France était prévisible et inscrite dans les chiffres du pays. L’effondrement du commerce extérieur a commencé depuis le début des années 2000. La crise qui s’est déclenchée à partir des dettes des Etats européens était prévisible, en tout cas pour les pays du Sud dont nous sommes. L’impuissance des institutions européennes était dans le labyrinthe institutionnel qu’ont créé le traité de Nice et le traité de Lisbonne. Il est des responsables politiques qui ont vu venir tout cela, et qui l’ont dit.
Nous voulons réhabiliter le « gouverner c’est prévoir » dans une démarche de gouvernement et l’appliquer aux années qui viennent.
C’est pourquoi nous avons inscrit ces deux dates : 2012-2020. Pas au hasard, bien entendu. 2012, ce sera le point de départ du redressement du pays. Nécessairement. Car désormais plus aucune échappatoire n’est possible. Les chances de voir la France arriver sans alerte grave à l’élection présidentielle du mois de mai me paraissent bien ténues. Et l’année qui vient, avant l’élection pour le peuple, après l’élection pour les gouvernants quels qu’ils soient, sera celle des grands choix. Pour nous, 2012, ce doit être le point de départ d’une action qui ressemblera à celle que le Général de Gaulle décida d’entreprendre pour la France en 1958, où se ressaisirent en même temps les forces et la fierté du pays pour déboucher en peu d’années sur son rétablissement. Et 2020, c’est le basculement de la décennie, et l’horizon crédible, au-delà des cinq ans d’un mandat ou d’une législature, auquel le pays peut se représenter son avenir.
Nous allons donc partir du futur, des objectifs à huit années, pour en déduire l’action qu’il convient de proposer à un pays en état d’urgence. Si gouverner c’est prévoir, la gestion par objectifs est la bonne méthode à suivre.
Pour chacun des sujets que nous traiterons nous partirons donc du but qu’en 2020 nous voulons atteindre, nous indiquerons les mesures d’urgence à prendre en 2012, nous définirons les étapes intermédiaires, nous préciserons les textes qu’il conviendra de prendre. Non pas des vœux, mais des actes avec un calendrier.
Car des promesses, les Français en ont eu leur compte. Ils veulent du crédible, pas des annonces sans lendemain, pas des chantiers constamment repris. J’entendais hier qu’on nous annonçait une nouvelle nouvelle loi sur la délinquance des mineurs. Il y a en eu cinq en cinq ans. La dernière a été votée pendant l’été, elle n’est toujours pas entrée en application ! Et on annonce déjà la suivante !… Cette manière de gouverner, où la loi n’est que communication et dissimule l’impuissance à agir, c’est pour le citoyen ne plus rien croire et ne plus rien entendre. Je voudrais vous donner quelques exemples : nous voulons en 2020, une démocratie dont nous pourrons être fiers, pas une démocratie qui fait honte et dont on se détourne. On voit bien le but à atteindre : prévention des conflits d’intérêt, séparation des pouvoirs, en particulier indépendance de la justice et indépendance de la presse, fin du cumul des mandats exécutifs locaux et (au moins) du mandat de député à l’Assemblée nationale, représentation de tous les courants importants du pays en cette même Assemblée, redéfinition des compétences et du fonctionnement de la démocratie locale et de sa fiscalité. On voit ce qui peut être fait dès 2012, la plupart des décisions de principe peuvent être prises dans une loi cadre. Mais la définition d’un nouvel équilibre des ressources, d’une fiscalité locale rénovée ne peut guère être envisagée avant 2015. Les nouvelles règles s’appliqueront dans leur intégralité en 2017. Voilà ce que seront les grandes lignes de notre agenda démocratique. Cela ne coûtera pas un euro, et en fera même économiser.
Plus ardu, l’objectif économique. Nous savons ce que nous voulons obtenir en 2020 : un pays productif, dont le commerce extérieur sera redevenu excédentaire, dont le chômage aura baissé jusqu’à 5 pour cent, qui aura reconquis de grands secteurs aujourd’hui abandonnés, un pays où le pouvoir d’achat aura recommencé à croître, et où les comptes publics seront excédentaires pour que se résorbe progressivement l’immense dette accumulée pendant les trois décennies d’incurie, de légèreté coupable, 1981-2011.
C’est une action de longue haleine, dont il ne serait pas réaliste d’imaginer les fruits à court terme. Mais cela doit commencer dès le printemps 2012. Ma conviction, on verra en janvier et février si ceux qui ont expérience et expertise dans la société civile partagent ce point de vue, est que cela exige une mobilisation nationale de tous les corps intermédiaires depuis les syndicats de salariés jusqu’aux organisations d’entreprise, jusqu’aux associations de consommateurs, et évidemment jusqu’à l’État. Depuis les grandes entreprises jusqu’aux centrales de distribution. Tout le monde, autrement la bataille est perdue. C’est une action nationale, psychologique autant que technique.
Une loi-cadre devra être préparée pendant l’été, au-delà des mesures d’urgence qu’à n’en pas douter il conviendra de décider, adoptée dès l’automne 2012, mais cette loi cadre qui touchera à la fois la création d’un organisme stratégique, un commissariat au plan refondé, au droit social, au droit fiscal, à la reconnaissance dans la vie économique des entreprises petites et moyennes, à l’implication des consommateurs, ne pourra entrer en vigueur, étape par étape et texte après texte, que sur les trois ou quatre années suivantes. Encore faut-il que ces étapes soient prévues et inscrites dans un calendrier.
Mais l’urgence imposera, dès 2012, une loi de finances portant un plan d’ensemble, cohérent, complet qui imposera à la fois une baisse des dépenses publiques de l’ordre de 5 pour cent de celles-ci, et une mise en ordre de la fiscalité pour que le budget de l’État soit équilibré de 50 milliards de ressources supplémentaires.
Dans un autre domaine, et je m’arrêterai là pour donner des exemples, la France a l’ambition légitime d’être un pays qui traite aussi bien, pour elle-même et pour le monde, pour le court terme et pour le long terme, son patrimoine naturel, son patrimoine vivant, l’espace et les paysages, ses biotopes, l’atmosphère et le climat, que son patrimoine matériel et économique.
Cela exigera par exemple une grande loi-cadre sur l’énergie, grande loi qui ne peut être adoptée de manière sérieuse que si on la fait précéder d’un débat approfondi à destination des Français. Cette loi-cadre devra donner lieu à des lois ou des textes d’application destinés à favoriser la recherche sur les énergies renouvelables, par exemple, ou à garantir la pleine indépendance et la pleine efficience, des autorités de sûreté. C’est dans cette loi que sera défini le « mix » énergétique, c’est-à-dire l’équilibre à trouver dans la longue période de transition qui offrira un jour, je l’espère et je le crois, à l’humanité et à nos sociétés des sources d’énergie sans nuisances.
Ces textes devront être sobres dans leur expression, lisibles par tous, non pas abscons et labyrinthiques comme on en a hélas pris l’habitude. Car inscrire son action sur le long terme, c’est aussi changer la philosophie des textes et jusqu’à une certaine idée du droit. Pardonnez-moi de citer en exemple la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. En trois pages lumineuses, d’accès immédiat, un texte visionnaire a fixé un cours nouveau pour l’humanité. Autre maxime française : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Notre ambition en définissant les textes à préparer et à voter sera aussi d’en changer la substance, réconciliant ainsi la loi et le citoyen, qui est censé ne jamais l’ignorer, mais à qui elle est rendue incompréhensible.
Nous avons fixé cinq rendez-vous, cinq forums, qui prendront une forme assez inédite. Le but, c’est la confrontation entre notre projet, notre vision, et l’expérience des acteurs de la vie réelle. Ce sont ces acteurs, plusieurs dizaines par sujet traité, qui réagiront à nos options de fond. Nous pourrons ainsi juger de la validité de nos choix.
Le premier de ces rendez-vous aura pour thème « urgent et durable : le développement de la France », le 14 ou le 21 janvier.
Le deuxième : « il n’est de richesses que d’hommes » : instruire, éduquer, former. Samedi 4 février.
Le troisième : « le nouveau contrat social » : sécurités et solidarités, le samedi 11 février.
Le quatrième : « le nouveau contrat démocratique », le samedi 25 février.
Le cinquième : « une nouvelle Europe pour un nouveau monde » : dimanche 4 mars.
Dans ce dernier forum, le sujet européen sera naturellement d’importance primordiale.
Mais comme l’actualité est brûlante, que des événements de grande ampleur, des événements graves sont en cours, permettez moi de saisir cette première occasion de vous livrer une vision de l’Europe, de sa crise et de son destin. « Gouverner, c’est prévoir » ! S’il est un domaine où rien n’a été prévu, où aucun cap clair n’a été dégagé, où les gouvernants ont choisi l’improvisation permanente et à courte vue, c’est bien cette crise européenne. Permettez-moi de vous le dire cette crise était d’autant plus prévisible qu’elle est une crise politique.
C’est une crise de la dette, et rien n’est plus politique que la dette. Ce ne sont pas les entreprises qui endettent l’État, pas les ménages, même pas les banques, c’est bien au contraire l’État qui endette les entreprises, les ménages et les individus. Autant la crise de 2008 a été, nous l’avons dit à l’époque, après une hésitation initiale, convenablement gérée, autant la contagion de celle-ci a été sous-estimée, et n’a trouvé en face d’elle aucune des réponses que la situation exigeait. La crise exigeait que l’Europe choisisse une stratégie solidaire, elle a choisi la stratégie de la dispersion.
La thèse que j’ai défendue, depuis dix-huit mois, a toujours été la même. L’urgence devait imposer la sécurisation par les institutions monétaires et politiques de la zone euro des dettes souveraines des États de la zone euro. Car dès l’instant qu’on laissait s’introduire dans les esprits la perspective d’un défaut total ou partiel, large en tout cas, d’un des États de la zone euro, alors tous les États de la zone seraient regardés comme pouvant éventuellement faire défaut. Et il n’était qu’une institution qui pouvait assumer cette garantie, c’était la Banque centrale européenne ou une institution adossée à la banque centrale européenne. On a choisi de ne pas le faire. Nous en payons le prix, et je crains que nous n’ayons à payer ce prix bien plus lourdement encore.
C’était une vision, claire, un message indiscutable. Au lieu de ce message, on a choisi la stratégie des Curiaces, chacun pour soi, en tout cas jamais tous pour un, et ce qui devait arriver est arrivé : de proche en proche, la contagion a gagné et tout le monde est maintenant soumis au soupçon, et le soupçon se paie en taux d’intérêt, et les pays endettés voient chaque jour s’alourdir la dette qui pèse sur leurs épaules.
La stratégie européenne que nous soutenons et soutiendrons s’articule en cinq impératifs :
– sécuriser la dette des États de la zone euro. Cela ne pourra se faire que par l’engagement de la Banque centrale européenne ou d’un organisme adossé à la Banque centrale européenne.
– Garantir le refinancement de la dette des États en difficulté à des taux raisonnables, et sur une période suffisante pour que réussisse leur effort de rééquilibrage de leurs finances publiques et de redressement de leur économie.
– En échange, négocier avec ces États les décisions nécessaires, dans la transparence, pour leur redressement, leur santé à retrouver, et la santé générale de la zone euro. Cela ne pourra être discuté qu’entre les États et une autorité européenne légitime et respectée. Cela exclut toute forme de prise de contrôle par « Bruxelles » des décisions des pays membres, tout renoncement à la responsabilité nationale. Au demeurant le besoin de refinancement dans des conditions acceptables suffit à soi seul à servir de puissante incitation. Si certains États refusaient les efforts nécessaires, ils seraient contraints dès lors de se financer aux conditions de marché.
– Cela pose la question de la légitimité démocratique des institutions européennes, de leur lisibilité auprès des citoyens. Le labyrinthe créé dans les institutions européennes, le fait que les citoyens ignorent tout de ceux qui portent cette responsabilité est un handicap grave. Ce handicap ne pourra être surmonté que par un double mouvement : mouvement de simplification, nous sommes pour la fusion en une seule responsabilité du président de la commission et du président du Conseil, et pour l’élection de ce président, un jour au suffrage universel, et en attendant éventuellement par un congrès qui réunirait à parité les représentants des parlements nationaux et le parlement européen.
– Enfin, cela oblige à retrouver les principes de la méthode communautaire, où une commission de plein exercice est en charge de la défense de l’intérêt général européen, et de la proposition, où chacun des Etats autour de la table est respecté, à égalité de dignité, et où les minorités sont respectées.
Je voudrais affirmer ceci : l’Europe, comme la France, ne s’en sortira que par ses seules forces. Je réprouve les annonces répétées d’appel au Fonds Monétaire International, comme les suppliques récemment adressées à la Chine. On ne peut pas être la première économie du monde, le plus important marché, une des toutes premières démocraties, et s’avouer incapable de régler soi-même ses propres difficultés, avec énergie, volonté et solidarité. C’est accepter un déclassement que comme Président de la République française, je n’aurais pas accepté.
Gouverner, c’est prévoir. Gouverner, c’est vouloir.
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