Le projet d’accord qui devrait être adopté d’ici à demain par les chefs d’État et de gouvernement européens sur le Royaume-Uni n’est pas à la hauteur des enjeux. C’est une occasion manquée de réformer en profondeur la zone euro et l’espace Schengen sans lever pour autant certaines ambiguïtés anglaises.
Sur le fond, cet accord est contraire aux intérêts de la France et de la zone euro. Jusqu’à présent, à la suite d’un choix fait à Maastricht « en attendant que l’euro devienne la monnaie de tous les États membres » , l’Union européenne possédait une monnaie unique, adossée à un cadre institutionnel unique, deux pays seulement (Royaume-Uni et Danemark) étant exemptés de l’euro. Si cette perspective unitaire est définitivement abandonnée, les droits et les devoirs de chacun doivent être strictement liés. Or l’accord permet aux Britanniques de conserver, via leurs députés et leur commissaire européens, un droit de regard sur certaines décisions relatives à la Banque centrale européenne et aux budgets nationaux des pays de l’euro, tout en étant libérés de tout engagement, y compris la contribution aux fonds de secours. La zone euro n’a en contrepartie aucun moyen de peser sur la Bank of England ou les choix budgétaires britanniques.
Cette proposition ne renforce pas suffisamment le marché intérieur à 28, contrairement à celle des revendications britanniques qui était particulièrement fondée. L’opportunité n’est pas saisie d’améliorer la compétitivité de nos économies, en répondant par exemple à l’échelle européenne à la révolution numérique. Une rédaction confuse met en péril les règles communes relatives aux services financiers (single rule book ). Si c’était avéré, la City obtiendrait une place à part dans un marché qui n’aurait plus rien d’unique.
Les gouvernements sont aussi prêts à restreindre la libre circulation des personnes alors même que les Britanniques ont été les plus ardents partisans de l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale et qu’en 2004, Tony Blair a dédaigné mettre en place une période transitoire. Des études ont prouvé que cet apport de main-d’œuvre a été bénéfique, même si ces travailleurs sont diabolisés.
Enfin, ce texte extravagant laisse entendre que les États peuvent, sans réviser les traités, les vider de leur contenu, en relativisant par exemple « la clause d’union sans cesse plus étroite » , présente depuis 1957 ou en préjugeant le résultat du processus législatif.
Ainsi, la rigueur juridique est sacrifiée. Au lieu de défendre l’existence d’un ordre de droit autonome, garantie contre l’arbitraire, on fait des petits arrangements entre amis. La Commission européenne valide le choix d’un instrument de droit international à la nature incertaine, vendu aux Anglais comme « juridiquement contraignant », aux autres comme « interprétatif » . Ainsi sont écartés la Banque centrale et le Parlement européens dont la consultation serait obligatoire en cas de révision formelle des traités. Quant aux ratifications, seuls les Britanniques seraient consultés sur la poursuite d’une relation qui engage pourtant 27 autres pays. Mais, dans cette affaire, le respect de la démocratie ne tourmente pas grand monde. Au lieu d’être l’enceinte du débat public, en exigeant notamment la venue du premier ministre anglais en plénière, le Parlement européen s’égare dans des négociations informelles à huis clos. Son président accepte lui aussi ce coup de force, trop heureux sans doute d’être invité au Conseil européen. Ce mépris renforcera les doutes des Européens face à l’Europe telle qu’elle se fait.
L’unanimité des 28 étant requise, le président de la République française peut, au nom de l’Europe communautaire, née en France et par respect envers les peuples, rejeter ce marchandage indigne. La France en tirerait un crédit incontestable. Mais l’illusion intergouvernementale éclate au grand jour : au moment où il faudrait dire non, la main tremble.